Étape 2 bis
Wed October 14, 2009 @ 11:10 |Ah, font chier… c’était pas assez de leur fournir ce foutu papier prouvant que je survis à 50m de brasse dans une piscine?! Nan, pour devenir une vraie maîtresse fonctionnaire à vie, il faut en plus passer un examen de natation. Hé oui. Plonger, nager, aller chercher un truc au fond, tout ça quoi. Donc mettre la tête sous l’eau. Super. Facile, hein?!
Pour que vous compreniez à quel point ça me pose un problème, faut que je vous raconte ma dernière tentative de plongée sous-marine. Juste Kéno, le moniteur et moi. Pour ma coloc, c’est la première fois. Pour le moniteur, je suppose que non. Pour moi, ben… j’ai gardé un drôle de souvenir de mon premier baptême: Alexis avait eu la patience de prendre 20mn à me faire mettre la tête sous l’eau, puis je lui ai écrabouillé la main en me laissant traîner et en vidant la bouteille d’oxygène à toute vitesse.
J’avais vu un poulpe. J’avais stressé à fond. J’avais pas trop compris comment tant de gens pouvaient se sentir libres en étant si écrasés par la pression de l’eau, la peur de ne plus pouvoir respirer et la perte de la vision périphérique. Bref, je m’étais dit qu’un jour, quand même, faudrait que je réessaie dans un endroit où je pourrais voir plus de choses sous la surface.
Donc me voilà sur le petit bateau, avec ma coloc qui sentait arriver le mal de mer, un moniteur tout tranquille, et moi. Au début, impeccable. Je me sens prête, ça va bien se passer. Le bateau s’arrête, je me sens un peu moins prête. On enfile la veste, on met le masque, je me sens plus franchement prête. Je fais genre tout va bien, je ne vais quand même pas gâcher la sortie de Kéno hein, et je me laisse tomber dans l’eau.
Le moniteur me rejoint, et là, je panique. Quoi, mettre la tête sous l’eau, mais ça va pas?! Nan, je peux pas. JE PEUX PAS. Jamais de la vie j’vous dis, je veux re… re… (aaah j’arrive plus à parler…) BATEAU… SUR BA… BATEAU… PA… PANIQUE…
Ceux qui n’ont jamais paniqué ne peuvent pas comprendre, je pense. Le cerveau se bloque, les yeux tournent dans tous les sens, le cœur s’emballe, et surtout, surtout, on n’arrive plus à respirer… on n’est plus qu’un animal affolé.
Heureusement, le moniteur a l’habitude. Il prendra le temps qu’il faut. Il me force à le regarder dans les yeux. Il me force à expirer lentement. Il me force à me calmer. Inspire doucement… expire lentement… là, voilà. T’inquiète pas, le matos est fait pour qu’on respire bien dans l’eau, pas en surface, c’est normal. Allez, regarde en-dessous, ce qu’on va voir. Oui, regarde comme c’est beau… ça va mieux, c’est bon? Je vais chercher ta copine. Ne bouge pas.
On est restées une heure au fond, agrippées aux mains de notre guide, ballotées par les courants, à admirer les coraux et les bancs de poissons. C’était magnifique. Inspire doucement… expire lentement… voilà.
Alors, vous pensez bien que réussir à aller chercher un objet au fond d’une piscine, sans bouteille et sans masque, ça va me prendre un certain temps.
C’est étonnant, en effet, à quel point il semble difficile de faire “comprendre” à autrui qu’on puisse éprouver les émotions les plus basiques. Ceux qui nous disent “il n’y a pas de raison d’avoir peur” devraient commencer par s’écouter parler : évidemment, la peur n’est pas de l’ordre de la “raison”, c’est le cerveau reptilien qui agit pour préserver le corps qui l’habite. Sa fonction première est la survie, pas le raisonnement. Mais tout se passe comme si, quand on repasse en mode “raisonnable”, on (eux, en tout cas) oubliait que dans certaines circonstances le cerveau reptilien est prioritaire. Et bien sûr, ceux qui ont oublié ça, parlent à ceux qui s’en souviennent commme s’ils étaient idiots. Du moins, c’est l’impression que ça peut faire, et ça rajoute à la source d’angoisse une source de conflit, ce qui rend la situation encore plus ingérable. C’est très mystérieux…
Hum, ma phrase est mal fichue, on dirait que c’est le corps qui habite le cerveau, et non l’inverse, ce qui en dit long sur la difficulté à appréhender son propre psychisme. 😉
Sur le même sujet, lire “Je suis une boucle étrange”, de Douglas Hofstadter (oui, l’auteur de “GEB”) !
Exactement! J’ai commencé en mode raisonnable, j’ai continué en mode reptilien, j’ai fini en mode semi-contrôlé (contrôle de la respiration mais pas des tremblements). 🙂